Un recruteur vous contacte. Son client a d’énormes besoins qu’il n’arrive plus à combler. Il recrute maintenant à l’externe. Votre profil semble parfait pour le descriptif fort séduisant.
Arrivé en poste, vous trouvez un parc applicatif qui croule sous la dette technique… La galère….Encore…
Comme technologue et technicien diplômé, vous devriez techniquement vous concentrer sur les technologies et techniques de développement logiciel.
Mais derrière chacunes des micros, macros et mésodécisions qui ont mené à l’état actuel des choses: des humains.
“No matter how it looks at first, it’s always a people problem.” — Gerald Weinberg
Je nous invite à explorer ensemble ces traits, que nous possédons tous avec des degrés de manifestation variables et qui contribuent à créer ces situations.
L’orgueil
Coût irrécupérable – Coût résultant d’une décision irrévocable prise dans le passé et constituant, par le fait même, une donnée non pertinente pour prendre une décision, puisque ce coût demeurera le même, quelle que soit la situation.
Le tristement célèbre “sunk cost fallacy”.
Ne se cache-t-il pas derrière cet entêtement à continuer à aller de l’avant à tout prix un égo? Un égo menacé par l’admission d’une meilleure solution, voire celle d’un échec?
On doit garder le cap! Droit dans le mur capitaine? Oui, moussaillon!
Un gestionnaire qui, confronté à une tonne d’évidence suggérant le contraire, décide de continuer à investir son groupe dans une direction. Le fait-il au bénéfice du groupe, de ses clients ou à celui de la protection de son égo?
Des exemples:
Continuer à investir massivement dans un logiciel ou une solution propriétaire dans laquelle on s’est déjà investi alors que tous les signaux montre que de continuer empira la situation
Continuer à s’investir dans une décision d’architecture(ex: S.O.A, Microservice, événementiel) alors que le contexte n’est pas propice et que les coûts et les échecs ne font que se multiplier
L’apathie
Prends pas ça à cœur, prends ça à l’heure
This is above my paygrade…
La bureaucratie. La multiplication des grades et des rôles. La complexité des systèmes et des processus.
Et lentement, un premier blessé. Un second. Un troisième. Il en faut peu.
Tranquillement, leurs blessures, petites ou grandes, demandent protection. Et pour ne pas se blesser à nouveau, elles invitent les autres à éviter les blessures eux aussi.
Lorsque confrontées à de nouvelles techniques, de nouvelles idées, de nouveaux outils ou même l’opportunité de revisiter des choses du passé, elles se traduiront par des phrases du style
Des développeurs qui font de l’analyse? Impossible.
C’est partout pareil, à quoi bon.TDD? Quelqu’un l’a déjà essayé avant et ça n’a pas fonctionné
M’investir pour simplifier le processus de livraison? À quoi bon? Je serai bientôt à la retraite.
L’avarice
Aujourd’hui: L’important, c’est de satisfaire nos actionnaires/clients/deadlines. Tournons les coins ronds maintenant et rapidement. On fera mieux la prochaine fois!
Un an plus tard: L’important, c’est de retenir nos actionnaires/clients/employés
Tant d’accent sur l’externe. L’apparence, la réputation, les profits. Les gains à court terme…
Si peu sur les besoins du système et des gens qui y œuvrent.
Employeur: On n’est pas ici pour se faire du fun
Employé: J’irai me le faire ailleurs alors.
S’en suivent ensuite les sondages de satisfaction employés. Les mesures de rétention des talents. Les métriques de taux de roulement.
Les conséquences:
Le départ de joueurs clés. La perte de connaissances et d’engagement.
La promotion de gens moins compétents à des rôles avec plus de responsabilités.
Les gens de passage, avec des intérêts et des niveaux d’engagement variables.
L’impulsivité
L’attrait et la stimulation de la nouveauté. Le “hype”. La mode.
La promesse aussi. Celle du vendeur lors de sa démo par exemple.
Ou bien la crainte de devenir inintéressant si on n’ajoute pas la plus nouvelle des nouvelles technos sur son CV.
On jette, on réécrit, on recommence et on passe au prochain cycle de mise à la poubelle et de réécriture.
Des exemples:
Au début, notre site Web était en jQuery. Après Silverlight. Ensuite, Angular. Là nos devs discutent de MFE! Pourtant, il y a encore des fonctionnalités de la première mouture en jQuery qui n’ont pas encore été portées en Angular….
Scrum, Kanban, ScrumBan, Rup, Prince2, Dad, Safe, ont les a tous essayé. La seule constante c’est qu’on nous dit toujours de livrer plus vite et qu’on livre de moins en moins.
Ici, c’est toujours “Fire”. Dans le sens Ready, Fire, Aim!
En prime, il y a toujours des “fire” à éteindre après.
L’intransigeance
« You Either Die a Hero, or You Live Long Enough To See Yourself Become the Villain”
Le meilleur. Le champion. La référence. La personne de confiance. L’exemple à suivre. Celui qu’on a promu rôle après rôle.
Et qui, tranquillement, deviendra le symbole de la droiture. Par son besoin de contrôle, éventuellement également celui de l’intransigeance.
Les décisions devront être prises en sa présence. Quand il arrive en retard dans une rencontre, il exigera qu’on reparte du début pour assurer qu’il en maitrise le dénouement.
Les recommandations deviendront lentement des lignes directrices. Qui elles auront, tranquillement, l’allure de lois. Les contourner serait sujet à conséquences.
Lentement mais surement, les gens se restreindrons de proposer des alternatives. Le progrès ralentira, car malgré ses allures d’omnipotence, il aura des difficultés à être omniprésent. Plutôt omniabsent. Toujours quelque part, mais jamais complètement présent sur le sujet en cours.
Les solutions elles, en souffrirons
Des solutions plus simples seront refusées sous le couvert de ne pas être conformes à la “direction d’architecture d’entreprise”
Les limitations des outils sélectionnés ne pourront être adressées. Au mieux, les compromis obligatoires seront documentés dans un fichier du catalogue des oubliettes.
Et tristement, lui, finira par s’y épuiser au passage et en souffrir tout autant.
Le status
Cette tour, c’est moi qui me l’ai construite et personne ne va m’atteindre.
L’égo.
Si puissant, qu’il mènerait un homme à déplacer des montagnes.
Si fragile, qu’il exige de se présenter comme étant fort, fier et expert. Toujours.
Exiger que tous les pull requests vous soient assignés. Peu importe les conséquences sur les transferts de connaissances aux équipiers, l’autonomie ou l’efficacité de l’équipe.
Éviter de s’engager dans les activités de cocréation en équipes, de peur de se montrer vulnérable. Tout sera préparé à l’avance.
Influencer les processus pour être certain que tout passe par lui en premier. Ancrer les conversations pour éviter que les équipiers puissent proposer d’autres solutions.
Éviter ou dénigrer les processus de rétroaction des solutions.
Question de ne jamais, au grand jamais, se montrer vulnérable ou faillible.
L’envie
Si les défis internes n’étaient pas déjà assez, il y a l’imagine externe qui vient nous hanter.
Et si on me comparait aux autres? De quoi aurais-je l’air?
Notre compétiteur a migré dans le cloud. On doit s’empresser de faire comme eux dans la prochaine année financière.
Il nous faut absolument intégrer un ERP_SAP_CRM_CMS_ESB_ENTREPRISE_SAAS_CLOUD comme recommandé dans Gartner.
Le technologue dans tout ça
Quand le sage montre la Lune, l’idiot regarde le doigt
Comme technologues et techniciens diplômés, nous pourrions techniquement nous concentrer uniquement sur les technologies et techniques à notre disposition pour améliorer cette situation.
Mais sans travailler également sur le contexte qui a contribué à la prise de ces décisions, sur les personnes qui les ont prises, sur les processus qui les ont facilitées et les mesures qui les ont encouragés, ne sommes-nous pas en train de corriger le symptôme qui résulte de la cause?
En faisant l’effort de travailler sur les deux, on pourrait peut-être acquérir un peu plus de sagesse, et possiblement, apporter du changement un peu plus profond.