Le projet
Zurich, c’était le nom que Sylvain avait donné à son projet de stage.

Avant la fin de son stage, on lui offrit un emploi. Il sauta sur l’occasion.

Les projets. Les voyages. La retraite. Sylvain rêvait déjà à tout ce que cet emploi au gouvernement lui permettrait d’accomplir !

La famille
Sylvain était un charmeur. Elle tomba amoureuse de lui par une pluvieuse soirée d’avril. S’en suivit l’appartement. Le char. Les enfants. La maison.

Sylvain était heureux d’offrir à sa petite famille plus que ce qu’il avait eu.

Les grands projets, ce serait pour plus tard. Une fois les enfants plus grands.

Au travail, le temps était long. Ça donnait au moins le temps de rêver. Au prochain voyage de pêche ou au prochain « tout inclus » en famille.

La carrière
Au ministère, quand on avait un problème avec Zurich, c’est Sylvain qu’on allait voir. On lui avait prêté des stagiaires ou des juniors ici et là, mais Sylvain était devenu synonyme de Zurich.

« Sylvain, c’est comme l’imprimante. »
« Qu’est-ce que tu veux dire ? »

« Je ne vais voir l’imprimante que lorsque j’ai besoin d’imprimer. »
« Je ne parle à Sylvain que lorsque j’ai des problèmes avec Zurich. »

La retraite
Pendant qu’il faisait ses boîtes, Sylvain se rappelait pourquoi il avait passé sa carrière sur cette chaise.

La maison. Les études des enfants. Le fonds de retraite. Le projet d’acheter un chalet. Ah ! qu’il en a rêvé de ce foutu chalet.

Une soirée d’adieux avec les autres retraités de sa cohorte confirmait que l’heure de la retraite avait sonné. Les appels pour visiter les chalets aussi. Enfin !

La visite
En allant visiter des terrains, Sylvain se sentait fatigué, à court de souffle.

Sa femme lui suggéra d’aller visiter Dr Laplante. Il avait le temps maintenant. Pourquoi pas ? Après tout, il était fraîchement retraité !

La doc lui demanda d’aller passer des tests. Au cas. Elle le convoqua à son bureau la semaine suivante.

12 à 18 mois. Scénario réaliste. Célébrer son 60e anniversaire, elle ne pouvait lui garantir.

Les adieux
18 mois au ministère, ça pouvait paraître comme une éternité.
18 mois pour dire adieux, ça n’a jamais semblé assez.

Tout son monde l’a pleuré quand il nous a quitté.

Simplement, doucement et calmement. À son image.

Les funérailles
Les collègues ont tous été invités. Ils ont été surpris de voir que ses deux enfants étaient si grands et parents à leur tour. Sur les photos au bureau, ils étaient pourtant encore si jeunes.

Dans le coin de la salle, sa famille se racontait des histoires.

Son fameux record aux Jeux du Québec dont il se vantait encore.

Comment, adolescent, il s’était retrouvé à côtoyer le Géant Ferré

La fois qu’avec ses cousins, ils avaient volé le bateau de mononc’ Armand et comment il ne l’avait jamais su.

Jamais ses collègues ne connaitront les histoires derrière l’homme. Pas plus qu’on ne connait les histoires derrière l’imprimante.

L’après
Le char. La maison. L’offre sur le chalet. Ce sont ses enfants qui s’en sont chargé.

Au ministère, Louis, un petit nouveau, commença son premier emploi. À son arrivée, on lui raconta brièvement l’histoire de Sylvain et comment il allait suivre dans ses pas.

Ça commençait bien en plus qu’ils lui dirent. Il venait de graduer de la même université !

Pour Louis, pas question que l’histoire se répète.
Il ferait autrement.

Pour Louis, le travail ce serait une histoire d’équipe.
Les histoires, c’est ensemble qu’ils les écriraient.
Et c’est chacun qui les raconterait.

Pour ces souvenirs qui font sourire.
Pour ces vieilles histoires qu’on aimerait croire.
Pour ces déboires qui sont source d’espoir.
Mais surtout, pour tous ces personnages dont il vaut la peine qu’on se souvienne.

Au revoir Sylvain.